La sarcopénie, l'âge et la perte de muscle
"Le courage est un muscle comme les autres : il faut l'exercer de temps en temps pour ne pas en perdre l'usage."
Auteur Jans TOLHOWIGH
Intermédiaires
La sarcopénie se définit comme un processus de perte progressive et générale de la force et de la masse musculaire. Les études s'accordent pour dire que la dégénerescence musculaire survient dès l'âge de 30 ans à raison d'une perte musculaire moyenne pouvant varier de 3 à 8% tous les dix ans. On constate que ce phénomène s'accentue dès les 50 ans. Chez la plupart des gens à 70 ans la moitié de la masse musculaire a été remplacée par de la masse grasse [1]. On peut dire que la perte de la masse musculaire correspond quantitativement à une réduction des la surface des fibres et donc essentiellement à une perte de protéines myofibrillaires (myosine, actine, ...).
La sarcopénie entraîne indubitablement des méfaits sur le maintien de la qualité de vie. L'entrée dans la dépendance, le risque de mortalité à court terme (chutes, ...), l'augmentation des risques infectieux et de façon générale à une fragilité liée à une altération des grandes fonctions vitales sont les conséquences de la sarcopénie qui ont été retenue dans plusieurs études récentes [2] [3].
La sarcopénie est un sujet il faut porter attention et particulièrement de nos jours où l'on ne cesse de rassurer les gens avec un espérance de vie en progression malgré un mode de vie souvent discutable (alimentation, sédentarité, ...). L'espérance de vie est un indicateur particulièrement hypocrite si on ne l'accompagne pas d'une santé de qualité. Vieillir malade, souffrant et dépendant ne fait résonner à rien en moi qui m'évoque l'espérence de la vie. Et vous ?
A quoi est du la sarcopénie ?
La sarcopénie est le résultat d'un ensemble multifactoriel.
La sarcopénie est la conséquence d'éléments intrinsèques et extrinsèques...
- Déséquilibres alimentaires (diminution des apports de protéines, ...)
- Elévation de l'extraction splanchnique [9] [10]
- Une désensibilisation du muscle aux acides aminés
- Une désensibilisation du muscle à l'insuline [11]
- Dysfonctionnement mitochondiral (augmentation des la production de RLO mitochondriaux au cours du vieillissement, augmentation de l'oxydation des protéines musculaires et mitochondriales, diminution du contenu et de la production d'ATP par la cellule musculaire, ...)
- Perturbation de l'état inflammatoire
- Diminution des hormones anaboliques [12] [13]
- Diminution des activités physqiues de force
- Diminution de l'influx nerveux [14]
La séquestration splanchnique
La plupart des acides aminés passent par le foie. Seule une fraction des acides aminés absorbés passe dans la circulation générale, le reste étant transaminé, oxydé ou incorporé dans les synthèses protéiques hépatiques. Ce phénomène d'extraction splanchnique concerne 60 % à 80 % des acides aminés absorbés (à l'exception des acides aminés branchés, dont l'extraction est d'environ 20 %). Il permet à l'aminoacidémie de rester dans des limites raisonnables même au cours d'une charge protéique alimentaire importante. L'extraction splanchnique est affectée par l'âge et l'état nutritionnel.
On peut donc définir l'extraction splanchnique par une rétention des acides aminés alimentaires (protéines) par l'intestin et le foie.
Comment lutter contre la sarcopénie ?
L'activité physique est un des facteurs clés de lutte contre la sarcopénie. Il est pourtant nécessaire de distinguer les activités physique de type aérobie et les activités de force.
L'endurance est une activité qui participe à l'amélioration de l'équilibre et de l'appétit, et permet d'augmenter l'adaptation musculaire ainsi que les capacités respiratoires. Elle permet également d'augmenter la synthèse protéique musculaire mais n'agit pas directement sur la force musculaire. Pour cela, les exercices de type musculation permettent d'augmenter rapidement la force, la qualité musculaire et d'accroître l'augmentation de la masse musculaire [15]. Afin de prévenir la perte d'autonomie, l'idéal serait d'associer les deux types d'exercice (endurance et force).
Des études montrent des effets bénéfiques rapides (12 semaines) sur les muscles et la force chez des personnes âgées ayant pratiquées des exercices de musculation à faible charges [16]. On sait également que l'exercice physique augmente la sensation de faim limitant de facto les effets de dénutrition engendrés par une diminution progressive de l'apport alimentaire.
Conjointement à la musculation, les séniors pourront s'adonner à des exercices de mobilité articulaire, d'équilibre et de proprioception. Néanmoins, l'activité physique seule est insuffisante. Afin d'endiguer au maximum les conséquences de la sarcopénie, on ne peut dissocier l'activité physique d'une stratégie nutritionnelle adaptée.
Cette dernière devra s'appuyer sur une sélection plus précise des protéines, des acides aminés et sur le moment de leur ingestion afin de stimuler la synthèse protéique musculaire. Listons ensemble les options de prévention et leurs impacts dans la lutte contre la sarcopénie.
La complémentation en leucine
La leucine est un acide aminé qui joue un rôle prépondérent dans la synthèse des protéines musculaires via son action sur la voie mTOR [18]. Une complémentation en leucine au moment du repas permet d'augmenter la synthèse protéique musculaire [19]. Cependant, chez les personnes âgées, un enrichissement en leucine ne permet pas d'augmenter la force et la masse musculaire en raison du fait que la leucine est séquestrée dans l'aire splanchnique et n'arrive pas en assez grande quantité au niveau des muscles.
La complémentation en vitamine D
Aucune étude n'a montré que la vitamine D était efficace pour lutter contre la sarcopénie. Pour autant, il a été constaté une réduction des chutes d'environ 20% chez les plus de 65 ans [20] lorsqu'une consommation de vitamine D de 800 à 1000 UI (20 µg) était consommée quotidiennement [20].
Choisir des protéines à assimilation rapide
Il semblerait que la vitesse d'absorption des protéines influencerait la biodisponibilité postprandiale des acides aminés et donc avoir une incidence directe sur la stimulation de la synthèse protéique musculaire [21]. Ceci signifie que plus la diffusion d'acides aminés dans le sang est importante et rapide, plus l'aire splanchnique a des chances d'être saturée. Une étude a montré que chez le sujet âgé l'ingestion de protéines rapides (telle que les protéines de lactosérum) permet un meilleur gain protéique post-prandial que l'ingestion de protéines lentes (telle que la caséine), à l'inverse de ce qui est observé chez le sujet jeune [22]. Il reste à déterminer si l'effet se poursuit à long terme et surtout s'il y a une incidence sur la masse et la force musculaire ainsi que sur la performance physique.
La nutrition pulsée
La nutrition pulsée est un apport protéique concentré de 80% des AJR sur un repas. Les AJR sont d'environ d'1 ou 1,2 gr /kg de masse corporelle par jour chez la personne âgée. Cet apport permet de saturer partiellement l'extraction splanchnique (c'est-à-dire une rétention des acides aminés alimentaires par l'intestin et le foie pour leurs besoins propres) afin d'obtenir une meilleure biodisponibilité des acides aminés pour la stimulation de la synthèse protéique musculaire postprandiale. Cette stratégie fonctionne et est utilisée régulièrement dans certains services gériatriques de pointe tel que celui de l'hôpital Emile Roux (Limeil-Brevannes) [23], [24], [25], [26], [27], [28], [29].
La complémentation en Citrulline
La citrulline est un acide aminé non protéique (il ne rentre pas dans la composition des protéines). C'est également un effecteur des métabolismes protéique et énergétique. La citrulline est un acide aminé qui, pendant très longtemps, a été peu étudié car il n'entre pas dans la composition des protéines et est quasiment absent de l'alimentation à l'exception de la pastèque (0,7 à 3,6 g/kg). Des données récentes de la littérature montrent que la citrulline est le seul acide aminé dont la biodisponibilité ne varie pas avec l'âge puisqu'il échappe à cette séquestration splanchnique. Par ailleurs, la citrulline est largement impliquée dans la régulation de l'homéostasie azotée avec, notamment, une action directe sur la synthèse protéique musculaire. Ainsi, Rougé et al. ont montré que suite à une complémentation en citrulline, une citrullinémie de 225±44 μmol/L en moyenne est associée à une augmentation de 57 % du bilan azoté, suggérant une augmentation de la synthèse protéique musculaire. La citrulline est le seul acide aminé à ne pas être capté par le foie (contraire des autres acides aminés), ce qui lui permet d'échapper à l'extraction splanchnique. Contrairement aux autres acides aminés, La citrulline est un puissant activateur de la synthèse protéique musculaire via la voie mTORC [18] [30]. La consommation de 3,5 g de L-citrulline permet d'atteindre une citrullinémie comprise entre 650 et 900 µmol/L. Cette citrullinémie a été associée à une augmentation de 25 % de la vitesse de synthèse protéique musculaire [31] chez l'homme. Les études ont également montré un effet dose dépendante sur l'anabolisme protéique. Chez la personne âgée, 10 grammes de citrulline par jour permet de préserver la masse musculaire et d'améliorer les performances physiques.
La nutrition pulsée, la leucine et la citrulline, sont de nouvelles approches innovantes qui stimulent la synthèse protéique musculaire. Avec l'ajout de la vitamine D à l'alimentation, qui apporte de vrais bénéfices pour réduire le nombre de chutes chez les personnes âgées, associé à une activité physique adaptée afin de limiter au maximum l'immobilisation et ainsi la perte musculaire, permet de lutter contre ce qui semblerait être vécu chez la plupart comme une fatalité.
Conflit d'intérêts
Le.s auteur.s déclare.nt n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.
Référence
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